Les cinq phases du processus fantastique

Par Guillaume Voisine

(Reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur)

(Les liens entre le titre de ce billet et « Les cinq phases du travail créateur » de Didier Anzieu sont tout à fait fortuits)

Tout d’abord, je veux préciser que je ne présente pas ici une recette pour structurer le récit fantastique, mais plutôt un modèle opératoire qui généralise certaines tendances dans le processus fantastique. Il existe d’autres organisation tout à fait fonctionnelles pour décrire ce type de récit; mon but, ici, n’est pas de les décrire exhaustivement, mais de mettre en lumière certaines articulations dans la façon de créer un texte fantastique.

Je base mon observation sur ma propre expérience du fantastique, autant comme écrivain que comme lecteur (pour mon plaisir et pour Brins d’éternité). Je tire ma théorie d’un document, portant sur le processus d’adaptation en période de crise, dont ma sœur, qui étudie en éducation spécialisée, m’a parlé. Le document en question ne cite malheureusement pas ses sources, et les quelques recherches que j’ai entreprises pour les trouver ont été vaines. Mais comme le rapprochement avec la structuration d’un texte fantastique m’a semblé flagrante, je me permets de vous le présenter succinctement, en le paraphrasant pour le diriger autant que possible vers le fantastique.

Le document divise le processus d’adaptation en cinq phases : le choc, la négation, la détresse, l’adaptation ou l’inadaptation et la réorganisation.

Le choc est une situation inattendue à laquelle un personnage se voit confronté. Il peut y réagir de plusieurs façon, plus ou moins intensément. C’est, dans le texte fantastique, la première manifestation évidente et tangible de événement surnaturel.

L’étape de la négation constitue, comme son nom l’indique, un mécanisme de défense qui entraine un refus de l’événement (« Non, c’est pas possible », etc).

La détresse suit la négation. La situation est acceptée, mais pas encore rationalisée: on cherche une raison, un coupable. Le document note plusieurs comportements possibles dans cette phase: la culpabilité, la colère, le marchandage, la dépression, l’isolement…

L’adaptation ou l’inadaptation sont les deux avenues possibles: soit le personnage s’adapte à sa nouvelle situation, parvient à en tirer avantage ou à vivre avec ses nouvelles limites, ou il ne parvient pas à s’adapter et demeure dans la négation et la détresse.

La réorganisation, qui me semble plutôt consubstantielle avec l’adaptation, est une forme de clôture du processus, une ouverture, une conclusion.

La classification, évidemment, a ses limites et ses failles: un personnage parvenant à modifier son environnement pour faire cesser l’événement surnaturel (ou pour le modifier à son avantage) serait-il à classer dans l’adaptation ou l’inadaptation? (Je pencherais pour le premier, mais enfin).

Et évidemment, ce ne sont pas tous les textes fantastiques qui répondent à ce schéma: certains sauteront pratiquement une étape sans que la qualité ou la crédibilité en souffre. Comme je le disais plus haut, mon but n’est pas de faire une grille imparable du texte fantastique, mais de me doter d’un outil qui me permettra d’en examiner quelques articulations. Voici donc.

Un défaut que je remarque souvent dans certains textes de fantastique que je reçois pour Brins d’éternité, c’est que le personnage qui est confronté à un événement surnaturel reste coincé très longtemps dans l’étape du déni, avant d’aboutir, sans beaucoup de transition, vers une solution à son problème, ou alors à une abdication irrévocable quant à sa situation. Imaginez, par exemple, une version de Leave Me où, sur trois minutes, le personnage en passe deux à se dire que tout ça est vraiment trop fou, il doit rêver, ça ne peut pas être vrai… Le dosage dans la représentation de chaque phase me semble, en effet, primordial, autant par soucis de crédibilité psychologique que par intérêt pour l’équilibre narratif et esthétique du texte.

De plus, tel que mentionné plus tôt, il me semble que les cinq étapes du modèle que j’ai présenté se rapportent plus ou moins à cinq moment clés types du récit fantastique. Or, ce qui fait un bon texte fantastique, en plus de la qualité de la description et de la représentation de chaque étape du modèle, c’est la pertinence et la cohérence des transitions entre chaque phase. C’est à travers ces transitions, selon moi, que le texte fantastique tire ou non sa portée et sa crédibilité. Une nouvelle ou un roman qui ne parvient pas à rendre réaliste le cheminement de ses personnages dans la crise qu’ils vivent manque, la plupart du temps, l’objectif.

Voilà donc pour l’instant où j’en suis dans mes réflexions sur le sujet. J’amènerai peut-être quelques autre points pour continuer dans cette lancée ou pour revenir sur mes scabreuses déclarations.

Date de publication originale : 11 février 2009

Référence : Voisine, G. (2009). Les cinq phases du processus fantastique. La Saveur du Moi. Récupéré le 2018-01-18 à : http://guillaumevoisine.blogspot.ca/2009/11/les-cinq-phases-du-processus.html