Dans un ouvrage amusant publié en 1979, les frères Bogdanoff ont demandé à plusieurs célébrités ce qu’elles pensaient de la science-fiction. Leur enquête, jamais répétée à ma connaissance, donne un aperçu des diverses perceptions envers ce genre, allant de l’admiration totale à l’hostilité pure.
À la fois pour vous amuser et alimenter votre réflexion, j’ai sélectionné 26 célébrités. Si certaines personnes listées ci-dessous vous sont inconnues, cliquez sur leur nom pour en apprendre plus!
Je tiens à remercier les frères Bogdanoff de m’avoir gentiment autorisé à reprendre des passages de leur livre.
ISABELLE ADJANI
J’aime tout ce qui relève de la science-fiction. Comme tous ceux qui auront à peine plus de quarante ans en l’an 2000, je peux même dire que j’éprouve à l’égard de ce genre une sorte de fascination qui fait que je préfère de loin sa lecture à celle d’un roman classique. Je ne crois pas que l’on puisse être pleinement moderne sans accepter la science-fiction, sans en lire. La comparaison pourra sembler étranger, mais j’éprouve autant de plaisir à lire de la science-fiction que du Barthes ou du Lacan. Il y a de la modernité dans les deux cas et, tout aussi paradoxalement, il y a de la fiction dans les deux cas. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 183-184]
NEIL ARMSTRONG
Lorsque j’ai posé le pied sur la lune et que j’ai vu la Terre flotter comme un ballon bleu dans le ciel obscur, j’ai tout de suite pensé à Jules Verne en me disant que j’étais en train de vivre la première aventure de science-fiction de tous les temps. Depuis, chaque fois que je lis de la science-fiction, c’est avec le sentiment que mes petits-enfants vivront des aventures sans doute bien plus passionnantes que la mienne. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 43]
CHARLES AZNAVOUR
La science-fiction est un œil ouvert sur l’avenir. L’autre est dans le présent. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 255]
SIMONE DE BEAUVOIR
J’aime la science-fiction quand c’est bon, je ne l’aime pas quand c’est mauvais. L’ennui, c’est que très souvent épouvantablement mauvais. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 340]
DAVID BOWIE
La science-fiction, c’est moi. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 257]
JEAN-CLAUDE BRIALY
Je n’aime pas la science; je reconnais sa puissance et je sais qu’elle a soulagé l’humanité, mais elle reste froide, métallique et abstraite. En revanche, la fiction est l’organe essentiel de mon métier; nous autres comédiens sommes des menteurs et essayons de faire croire à ces ramassis de caractères différents que nous incarnons. Plus je vieillis, plus je me rends compte que la fiction (et donc la science-fiction) est importante. Sans imaginaire, sans science-fiction, il n’y pas de vie. N’oublions pas que le plus beau robot du monde, c’est l’homme… [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 163]
ROSIE CARITA
La science-fiction, ça me fiche une trouille noire. J’ai pourtant un esprit curieux depuis toujours : j’aurais aimé être la première à aller sur la Lune. Peut-être pour y trouver de l’herbe, des fleurs, un petit oiseau, la nature… Or il n’y a rien là-haut. C’est précisément pour cela que la science-fiction m’effraie : parce que mon imagination me porte vers la nature que je comprends et à laquelle je parle. Il n’y a rien de doux ni d’humain dans le science-fiction. On nous y montre des machines, des robots, des monstres, c’est-à-dire des choses qui me glacent d’effroi. On est bien loin, à travers des récits de ce genre, du merveilleux et du conte de fées qui ont fait les plaisirs de mon enfance. Je pense que la science-fiction ne sait pas ce qu’est, tout simplement, le cœur d’un homme. Que dire de l’œil d’un extra-terrestre? Je songe, par exemple, au regard d’Isabelle Adjani : quel extra-terrestre pourrait avoir la pureté et la beauté de ce regard-là? [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 102]
CASSIUS CLAY (Mohamed Ali)
La science-fiction est un coup de poing dans la réalité. C’est la réalité K.O. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 256]
GÉRARD DEPARDIEU
Le peu de culture que j’ai est presque entièrement issu de mes lectures dans le domaine de la science-fiction. Au fond, je ne connais qu’elle sur le plan littéraire. […] Si je lis des ouvrages de science-fiction avec un tel plaisir, c’est qu’il s’agit de la seule littérature qui me permet d’aller plus loin dans l’exploration de l’homme; la « grande littérature », le roman classique, ne m’ont jamais rien apporté de tel. […] Au fond, le monde d’aujourd’hui n’est pas fait pour moi. Or, la science-fiction est un peu mon monde à moi, un univers de compensation qui me présente le vrai futur, celui dans lequel je voudrais vivre. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 179-181]
RAYMOND DEVOS
Je vais commencer par vous faire part d’une mise en garde : la science-fiction d’aujourd’hui n’a pas la qualité qu’elle devrait avoir. Si elle persiste dans la voie qui est la sienne aujourd’hui, elle va irrémédiablement s’enliser dans ce que j’appelle « l’enfer des trois L » : Long, Lent et Lourd. La science-fiction devrait être beaucoup plus subtile. Pour ce faire, elle devrait jouer avec beaucoup plus de finesse sur les accidents du réel. Prenons un exemple : hier, j’ai pris l’ascenseur pour grimper au trente-sixième dessous, mais je n’ai pas pu démarrer car il n’y avait pas de boutons dans la cabine. Je me suis alors dirigé vers l’escalier, mais surprise : il n’y avait pas d’escalier. Je suis alors sorti de l’immeuble et, là, j’ai poussé un soupir de soulagement : l’immeuble n’avait pas d’étage. Il était donc tout à fait normal que l’ascenseur n’ait pas de boutons…
Vous le voyez, pour atteindre pleinement son effet, l’imagination doit jouer avec la réalité. En ce moment, par exemple, mon « délire » part d’une chose toute simple : je me prends pour une poussière. Alors, je vis tout le drame de la petite poussière : j’ai peur des coups de balai intempestifs, j’aime les dessous de lits, je voltige dans les rais de soleil, etc. Je regrette que les auteurs de science-fiction ne s’attachent pas davantage à développer, avec toute la rigueur et la logique nécessaires, l’absurdité de ces situations imaginaires qui doivent toujours rester éclairées d’une certaine banalité : quoi de plus banal qu’une poussière? Ce qui l’est déjà moins, c’est d’imaginer ses plaisirs ou ses angoisses, et ce qui est génial, c’est de construire tout un petit monde d’aventures, de drames, d’accidents qui puissent tenir dans une cuisine, entre le tapis et le plafond. La science-fiction doit aller vers l’imaginaire le plus pur, en oubliant science et technique, en oubliant… la science-fiction. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 169-170]
FRANÇOISE FABIAN
J’ai découvert la science-fiction grâce à Jean Cocteau, alors que j’avais vingt ans. Très vite, j’ai lu tous les romans de Bradbury, la plupart des oeuvres de Lovecraft (dont j’ai beaucoup aimé La couleur tombée du ciel) et celles de Frederic Brown, dont j’aimais beaucoup l’humour acerbe. Pour moi, tout cela, c’était la poésie, une merveilleuse approche du futur. Or, la science-fiction d’aujourd’hui, celle des cataclysmes et des cauchemars du XXe siècle me fait peur. Je ne peux plus lire une page sans être angoissée, ce qui fait que j’ai été contrainte à l’abandon. D’autre part, il faut bien reconnaître qu’à bien des égards la réalité d’aujourd’hui dépasse la fiction. A une époque où l’homme a posé le pied sur la Lune et photographié les planètes Mars ou Vénus, la science-fiction spatiale fait bien triste figure. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 75-76]
DENISE FABRE
On a vraiment envie d’aller voir dans le futur mais, en même temps, on a peur. La science-fiction, c’est terrible et magnifique à la fois. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 163]
ROMAIN GARY
La science-fiction est dans une grande mesure une tentative d’évasion dans « l’illimité » scientifique face aux limites cul-de-sac de la civilisation dans le domaine idéologique, écologique, politique, humanitaire, religieux. Cela est particulièrement visible dans son échec quasi général : alors qu’on imagine de prodigieux changements scientifiques, à l’échelle cosmique, les auteurs sont incapables d’imaginer un homme nouveau, comme si de tels bouleversements prodigieux pouvaient laisser l’homme tel qu’il est aujourd’hui. C’est pourquoi les romanciers de la science-fiction sont incapables, malgré toute leur imagination, d’inventer des personnages intéressants. Elle est un symptôme typique d’une mort de civilisation. Pour moi, son plus grand intérêt est d’avoir enfin osé dire que ni l’homme ni l’intelligence humaine ne sont le centre de l’univers. Elle a pris de plus en plus d’importance comme substitut de Dieu. La véritable science-fiction est impossible à écrire parce qu’on ne peut pas sortir de l’intelligence humaine, alors qu’il faudrait concevoir, justement, quelque chose qui est soigneusement clos à l’intelligence, comme si le cerveau était conçu de telle façon qu’il ne puisse percer les secrets de l’autre univers. L’intelligence est un instrument de défense de l’inconnu. Son seul apport positif est de nous habituer à la possibilité de l’impossible. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 333-334]
HERGÉ
Je dois avouer qu’à de rares exceptions près, je ne me sens guère attiré par cette forme de littérature. Car je lui reprocherai ce qu’elle a trop souvent, selon moi, de « gratuit ». […] Si la science-fiction est devenue une sorte de phénomène social, c’est probablement parce que l’angoisse devant l’avenir est une des caractéristiques de notre époque. De même qu’il y a des nostalgiques du passé, il existe des passionnés de l’ailleurs et du futur. […] En ce qui me concerne, je m’accommode encore de la vie sur notre vieille terre, toute polluée et encombrée qu’elle soit, et j’y trouve assez d’agréments pour ne pas chercher à m’en évader. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 40]
HENRI LABORIT
J’ai toujours eu beaucoup de plaisir à lire de la science-fiction. C’est un phénomène très important dans la mesure où il favorise l’évolution des sociétés humaines. Certains esprits superficiels diront qu’elle constitue une évasion hors de notre monde, une attitude de fuite face à un univers perçu comme angoissant. C’est partiellement vrai […] mais elle n’est pas que cela […]. Précisons en effet que le mécanisme de l’évolution peut se ramener à une circulation toujours plus grande d’informations, celles-ci mettant en forme des ensembles sociaux de plus en plus vastes et complexes. Face à ce soudain accroissement des flux d’informations, l’homme d’aujourd’hui est souvent contraint – et donc d’agir – à l’aide de « grilles » extrêmement simplifiées. Or, la science-fiction permet à ce surplus d’informations de transiter par le canal de l’imaginaire, ce qui, outre une amélioration évidente de la circulation des informations, matérialise un découpage précis entre ce qui est réel, possible, et ce qui ne l’est pas. Il en résulte en tous les cas pour l’homme une plus grande capacité d’action. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 201-202]
MICHÈLE MORGAN
Dans mon enfance et un peu plus tard, j’ai eu l’occasion de lire de la science-fiction mais… comment dire… ça m’a toujours causé une peur indéfinissable. Le seul auteur qui ne m’ait jamais angoissée, c’est Jules Verne, dans la mesure où ses romans appartiennent à ce que j’appellerai le « futur passé », c’est-à-dire une prévision qui n’en est plus vraiment une puisqu’elle porte sur notre présent. En revanche, dès que le roman se met à décrire l’avenir lointain, je me sens saisie par une angoisse irrésistible. Dans cent ans, je serai morte. Comment voulez-vous que je me sente attirée par une littérature qui me parle de quelque chose qui vendra après ma mort? Chaque fois que j’ai lu tel roman de science-fiction, les héros (qui, là-bas, continuent à vivre, à s’aimer, à découvrir mille et mille merveilles) semblaient me chuchoter : « Là où nous sommes, tu ne seras pas! » Je me complais au contraire sur la réflexion qui concerne le passé. […] [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 102]
PAUL NEWMAN
Un des films qui m’a laissé le souvenir le plus extraordinaire, c’est Quintet, un film de science-fiction. Pendant toute la durée du tournage, j’ai vraiment eu la sensation de vivre dans un autre monde. Et pour moi, c’est ça la science-fiction : entrer dans un autre monde, tout en sachant que, tôt ou tard, il faudra en sortir. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 162]
JEAN D’ORMESSON
La science-fiction est bien la littérature d’un âge en crise, inscrite à titre de symptôme dans une époque en plein bouleversement. C’est pourquoi tous les grands thèmes de notre époque se retrouvent en elle… [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 224]
PALOMA PICASSO
Si la science-fiction intéresse les enfants, c’est qu’il y a quelque chose d’important en elle. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 256]
BERNARD PIVOT
De par mes activités littéraires très prenantes, peut-être par goût, je n’ai guère le temps de m’occuper de science-fiction. Je voudrais simplement dire qu’il n’existe pas, à mes yeux, de mauvais genre littéraires, genres dont la science-fiction ferait partie. En fait, il n’existe que de bons et de mauvais auteurs qui écrivent, selon les cas, des textes de plus ou moins grande qualité. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 160]
ALICE SAPRITCH
Non. Pas la science-fiction. Je ne peux pas lire ça. Je ne peux pas. Ça m’angoisse à un tel point que j’en suis malade. Cet avenir dont elle nous parle, ces êtres sans âme, ces monstruosités pleines de méchancetés, ces entités vivantes qui n’ont plus rien d’humain, ces machines épouvantables, ces immenses dédales d’acier, de béton et de plastique qui représentent nos futures villes, tout cela me glace les sangs. Jamais de la vie je ne m’approcherai de la science-fiction : elle risquerait de me faire vomir de peur. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 103]
ALVIN TOFFLER
[…] la science-fiction a un rôle indispensable à jouer dans le renforcement de nos capacités d’adaptation. En premier lieu, elle nous amène à envisager toutes les conséquences résultant de l’écroulement du système industriel : conséquences sur le corps et l’esprit, sur la société, la technologie, la politique, ou encore la beauté, la communication et la religion.
[…] En traitant de possibilités non envisagées habituellement – les univers parallèles, les possibles alternatifs –, elle enrichit notre arsenal de réponses possibles au changement. Elle nous aide à considérer le monde comme un système, comme une totalité. Elle nous aide à concevoir l’histoire sur de très longues périodes et non plus selon de misérables petites tranches. […] elle nous donne l’occasion de tester les conséquences de certains comportements, de certaines actions, sans avoir à effectuer réellement ces actions, avec le risque que cela comporte. Grâce à elle, il nous est donc possible d’apprécier la valeur éventuelle de nouvelles technologies bien avant leur apparition, ce qui, parfois, peut nous éviter d’être placés en face du fait accompli.
[…] Pour toutes ces raisons, je conclurai que la science-fiction est, à mes yeux, fondamentalement humaniste. Pour cela, je vous remercie, vous, auteurs de science-fiction, pour les contributions que vous pouvez apporter à moi-même, à mon monde en changement rapide et, enfin, au futur.
Je vous en prie, ne désertez pas nos lendemains. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 389-390]
ROLAND TOPOR
[…] je crois à une science-fiction bousculante, qui creuse vraiment l’écart avec tout ce qui a existé avant elle. Hélas! il n’y a pas encore de science-fiction aujourd’hui. Aussi bizarre que cela puisse paraître, la science-fiction, dans son caractère « sérieux », ne me concerne pas vraiment. La littérature de science-fiction sera « déconnante » ou elle ne sera pas. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 170]
ROGER VADIM
Il y a une vingtaine d’années, alors qu’au fil des lectures classiques (Céline, Hemingway, Swift, Dostoïevski, Tolstoï, etc.) j’avais atteint le fond du désenchantement, j’ai découvert la science-fiction. Immédiatement, ce fut le choc. Pour la première fois, je me trouvais confronté à quelques choses d’autre : il ne s’agissait plus de littérature mais d’imagination et d’idées à l’état pur. J’eus alors le sentiment d’avoir enfin rencontré la véritable poétique du monde moderne, le conte de fées de notre époque. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 113]
SIMONE VEIL
[…] je ne suis vraiment, vraiment pas une bonne interlocutrice en matière de science-fiction. D’abord je n’en ai jamais lu, ensuite, je suis sûre que je n’en lirai jamais. Même Jules Verne me laisse insensible. Comment vous dire : c’est un domaine qui non seulement ne m’intéresse pas, mais qui, de surcroît, me fait très peur. Cela vous paraîtra étrange, mais la seule pensée de l’avenir vu à travers la science-fiction me donne une espèce de frisson dans le dos. Non. Décidément je ne suis pas sensible à ces choses-là et préfère de loin ne pas y songer. [Bogdanoff et Bogdanoff, 1979 : 364]
Référence
Bogdanoff, I. & Bogdanoff, G. (1979). L’effet science-fiction : à la recherche d’une définition. Paris : Robert Laffont.