La Nuit aux Trois démons

Titre original : La Nuit aux Trois Démons (In : Horrificorama. Direction : Pierre-Alexandre Bonin.)

Genre : Épouvante/Érotique

Remarque : pour lectorat adulte

Année : 2017

Publication : Les Six Brumes

Site Web : sixbrumes.com

Prix Aurora-Boréal 2018 de la meilleure nouvelle.

Anthologie préfacée par Patrick Senécal

Contributeurs : Geneviève Blouin, Pierre-Alexandre Bonin, Anne-Marie Bouthillier, Philippe-Aubert Côté, Luc Dagenais, Frédérick Durand, Ariane Gélinas, Élise Henripin, Pierre-Luc Lafrance, Isabelle Lauzon, Pascal Raud, Frédéric Raymond, Jonathan Reynolds, Carl Rocheleau et Vic Verdier

Qu’aimeriez-vous dans cette histoire?

Des monstres sexy (à leur manière). De l’érotisme. De la sensualité. De l’homosexualité et de l’hétérosexualité. Un futur très étrange. Un contenu graphique façon Cronenberg.

Résumé

Les démons n’ont jamais été des êtres surnaturels : naguère, ils étaient le stade ultime du développement de chaque être humain. Jusqu’à ce qu’un phénomène viral inconnu empêche la maturation des humains en démons et les condamne à l’apparence que nous connaissons.

Seulement, le réchauffement climatique libère de la glace des virus anciens qui réactivent cette dernière étape. Les humains, passés l’adolescence, se transforment en créatures démoniaques… et reconstruisent le monde. Les démons créent leur propre civilisation, en marge de laquelle les populations d’humains inchangés survivent, retranchés dans leurs enclaves.

Zach, un milicien de l’Enclave de Sherbrooke, a retrouvé son ancien amant, Peter. Même si ce dernier s’est transformé en cthulhu, une passion dévorante les emporte…

Contaminé par Peter, Zach craint de se transformer en monstre. La seule solution : rejoindre le Pandémonium de Montréal et participer à une Nuit aux Trois Démons, l’initiation rituelle des humains inchangés qui demandent la conversion en créatures infernales. En effet : au terme de cette nuit orgiaque, le candidat se voit toujours offrir un antidote…

Seulement, la Nuit aux Trois Démons, plus qu’une initiation sensuelle, est surtout un voyage au bout de sa propre nuit. Zach restera-t-il humain ou embrassera-t-il une nouvelle existence?

Origines de cette histoire

C’est à l’automne 2015 que Pierre-Alexandre Bonin m’a invité à participer au projet Horrificorama. Le principe : réunir une quinzaine de jeunes auteurs et leur laisser choisir, dans une liste, un sous-genre de l’épouvante qu’ils pourront exploiter comme bon leur semble. Comme aucun des thèmes proposés ne m’attirait spontanément, je lui ai demandé, par boutade : « Une histoire portant sur un sauna gay fréquenté par des monstres, ça serait quel genre? » Et lui de me répondre : « Euh… Monster porn? »

Monster porn. Pornographie monstrueuse. Très David Cronenberg – et j’aime bien les films de Cronenberg. Et cela renvoyait à une réflexion que j’avais déjà eue avec des amis : les monstres doivent sûrement avoir une sexualité, comme tout le monde. Leur job est de nous effrayer, mais après le travail ils ont eux aussi le droit de prendre du bon temps. Ils ont sûrement des amis, des amants, des êtres aimés. Et dans le cinéma (sans parler des bandes dessinées), on présente souvent des monstres charismatiques et sexy à leur manière – pensez au diable de Legend de Ridley Scott (1985), aux loups-garous musclés du premier Underworld (2003) ou ceux à crinière de rock star de Van Helsing (2004). Ou dans un registre plus parodique, je me souviens de ce minotaure en… manque d’affection, dirons-nous, dans Your highness (2011).

L’idée d’un récit érotique plutôt explicite (un genre d’écriture que je n’avais jamais essayé) avec des êtres qu’on devrait juger a priori repoussants, ça m’amusait, alors j’ai embarqué dans le projet. Même si je ne m’obligeais pas à faire une histoire axée sur des monstres gays fréquentant un sauna.

S’ensuivirent une recherche documentaire et la consultation de quelques artistes particulièrement versés dans le domaine de l’érotisme, qui ont gentiment répondu à mes questions. Je connaissais déjà plusieurs exemples d’histoires fantastiques où l’on n’hésitait pas à présenter les monstres sous un jour sensuel, mais j’ai pu constater à quel point cette idée est plus ancienne et répandue qu’on le croit. On la retrouve en effet dans l’iconographie japonaise du XIXe siècle et sur les peintures rupestres, où les hommes préhistoriques ont représenté d’étranges unions entre humains et créatures fantasmagoriques. Plus récemment, on peut regarder du côté de deux sous-genres de l’horreur : l’horreur érotique et le splatterpunk, dont Clive Barker est l’un des plus célèbres représentants (ses Livres de sang contiennent autant de sexe que d’hémoglobine – et je ne parle même pas des sous-entendus (!) sadomasochistes de Hellraiser). Aujourd’hui, tant la littérature de genre, les bandes dessinées et le web fourmillent d’images explicites et de récits où humains et monstres passent du bon temps ensemble. Du côté de la littérature et des comics, je pense notamment à Garouage de Nancy A. Collins et Neonomicon d’Alan Moore.

Fait intéressant, beaucoup de ces récits sont traversés par l’idée qu’un humain qui s’unit à un monstre devient lui-même une créature fantastique – un thème que j’ai volontairement repris pour mon texte d’Horrificorama. On le trouve par exemple dans la nouvelle La Madone de Clive Barker, le film Maléfice de Wes Craven et la bande dessinées Lilith de Desberg et Hardy. Il y a là une métaphore inversée du SIDA, maladie qu’on a, à tort, associée exclusivement à la communauté gay. On y retrouve aussi un reflet satirique, si je puis dire, de cette idée malsaine, courante dans les milieux fondamentalistes, selon laquelle l’exposition à l’homoérotisme peut vous « convertir » en homosexuel. Malheureusement, cette idée ridicule sert encore à justifier des répressions atroces envers les homosexuels dans plusieurs pays.

Fort de toutes ces réflexions et des nombreux exemples révélés par ma petite recherche documentaire (j’en ai omis une bonne partie ici) je me suis mis au travail. En faisant appel au concept d’hétérochronie vu dans mes cours de biologie, j’ai imaginé que les démons n’étaient pas des êtres surnaturels, mais seulement un nouveau stade du développement des humains. La sexualité débridée ferait partie de leurs rituels de maturation. Et tout le reste s’est mis en place.