L’origine du Sculpteur de voeux

Un rêve du samedi matin

Le Sculpteur de vœux s’enracine dans un rêve du samedi matin. Au printemps 2013, alors que j’habitais à Québec depuis peu et que je commençais à fréquenter mon amoureux, je me suis réveillé avec cette étrange grand-mère japonaise en tête : habillée d’un élégant manteau fuchsia et d’un chapeau de la même couleur, dans lequel elle avait fiché une fleur jaune, elle disait s’appeler « Mme Brock ». Elle possédait des usines florissantes, sans aucun travailleur visible. Et une voix mystérieuse chuchotait que Mme Brock employait des yôkais qui avaient troqué le Japon pour le Québec.

Une collection de yôkais…

Je racontai ce rêve à mon amoureux sur l’oreiller. Pendant le déjeuner, puis en ramassant la vaisselle, nous avons spéculé sur qui était cette Mme Brock : qui était-elle? D’où venait-elle? Que faisait-elle? Quand était-elle née? Quels étaient ses liens avec les yôkais? La mystérieuse grand-mère nous a accompagnés une bonne partie de la journée, dans notre promenade sur la rue Saint-Jean et la terrasse Dufferin, enfournant dans son sac à main d’autres fragments d’histoires qui trottaient dans les recoins de mon esprit.

Fujin, le dieu du vent

Un anime du samedi matin

Quelques semaines plus tard, je tenais un matériau pour mon prochain livre. Ce serait un anime du samedi matin en prose – et pour adulte. Il y aurait des yôkais et d’autres monstres japonais dans une Montréal bien contemporaine… Mais pourquoi juste des créatures japonaises? En plus de celles-ci, Montréal devrait logiquement abriter des monstres de partout dans le monde, et aussi issus du Québec actuel et passé… Après tout, la mondialisation devait aussi concerner les créatures magiques… Créatures magiques? Non, « technomagiques » : leurs pouvoirs reposeraient sur une nouvelle physique… Un petit coup d’œil dans la contre-histoire de la philosophie de Michel Onfray me remit en mémoire la théorie des atomes somatiques et psychiques d’Épicure. À celle-ci j’ajoutai les « psychons » de John C. Eccles, l’un des découvreurs des synapses, qui avait spéculé sur le mécanisme par lequel l’âme pouvait interagir avec le cerveau. Oui, je tenais quelque chose!

J’amassai livres savants et articles pouvant m’aider à construire mon arrière-monde (on en trouvera une petite sélection ci-dessous), inclus quelques lectures accidentelles (comme l’ouvrage sur les real-life superheroes de Nadia Fezzani), rencontrai des gens susceptibles d’alimenter la création de mes personnages, et me lançai dans une élaboration alchimique que je voulais aussi excentrique que les mangas qui m’avaient marqué.

Un anime du samedi matin aux multiples obstacles…

La création de ce roman n’a pas été une chose facile, tant pour des raisons internes qu’externes.

Internes d’abord, parce que j’ai mis à l’essai une nouvelle approche d’écriture, dite « buissonnante ». Celle-ci, combinée à la direction littéraire du Jeu du Démiurge (accepté au printemps 2013 pour être finalement publié à l’automne 2015) m’a compliqué la tâche – je me suis juré de ne plus jamais employer cette méthode!

Externes ensuite parce que la rédaction et la réécriture du Sculpteur de vœux ont été entravées par divers incidents : le décès coup sur coup de deux personnes chères (Joël Champetier fin mai 2015 et ma grand-mère, « Mamie », début juin 2015 – c’est en revenant des funérailles du premier que j’ai appris le décès de la seconde); un emploi incompatible avec l’écriture, et mes valeurs professionnelles et éthiques; un épuisement; une dépression subséquente… Après un arrêt à l’hiver 2016, j’ai décidé d’envoyer valser mon emploi et d’accomplir une réorientation de carrière salutaire en m’inscrivant au certificat en rédaction professionnelle et en révision à l’Université Laval. Mon but était de devenir indépendant de tout patron et de tout horaire qui empêcherait mon accomplissement littéraire.

Le Crâne clac-clac, que j’ai associé au personnage de l’Alchimiste Samahël, une de mes créations

… mais avec une fin heureuse!

Tous ces changements, même salvateurs, ont pris du temps et de l’énergie au détriment de la rédaction du Sculpteur de vœux. Celui-ci n’a vraiment débloqué qu’après le retour de mon amoureux et de moi-même à Montréal, en 2018, et à la suite d’une première lecture du manuscrit par Philippe Turgeon, d’Alire. Retrouver la métropole, qui a été un lieu majeur d’épanouissement pour moi dans le passé, m’a fait le plus grand bien. En quelques semaines, je donnai enfin au récit la structure qui lui convenait. Après le retravail habituel et une superbe collaboration avec Jeik Dion pour l’illustration de couverture (qui m’a incité à revoir la description de certains personnages), le Sculpteur de vœux a pu enfin trouver son chemin sur les tablettes des librairies. À la suite d’un superbe lancement en ligne (pandémie de COVID-19 oblige), avec la complicité de Valérie Harvey, spécialiste reconnue du Japon, et de Billy Robinson, animateur culturel bien connu et libraire à la Librairie de Verdun (je les remercie encore pour leur collaboration).

Une assemblée de kitsune

Quelques références

Pour terminer, voici quelques-unes des sources consultées sur les éléments culturels et folkloriques autochtones, japonais et québécois sollicités ou réinventés pour le Sculpteur de vœux (certaines ont connu ou vont connaître des rééditions régulières). Ces éléments constituent autant d’affluents culturels qui nous irriguent et méritent d’être explorés.

Adelstein, J. (2009). Tokyo vice. Éditions Marchialy.

Culture Ilnu (http://www.cultureilnu.ca/) est un portail Web consacré aux Pekuakamiulnuatsh de Mashteuiatsh (lac Saint-Jean) et abritant, notamment, le site du Musée amérindien de Mashteuiatsh. 

Erdoes, R. et Ortiz, A. (1995). L’oiseau-tonnerre et autres histoires. Albin Michel.

Erdoes, R. et Ortiz, A. (2000). Et coyote créa le monde. Albin Michel.

Fezzani, N. (2014). Mission superhéros. Éditions de l’Homme.

Foster, M. D. (2015). The book of yokai. University of California Press.

Foster, M. D. (2009). Pandemonium and parade. University of California Press.

Harvey, V. (2010). Passion Japon. Septentrion.

Jolivalt, S. (2007). Esprits et créatures fabuleuses du Japon : rencontres à l’heure du bœuf. Éditions You Feng.

Koyama-Richard, B. (2010). Japanese animation : From painted scrolls to Pokémon. Flammarion.

Mizuki, S. (2008). Yôkai : Dictionnaire des monstres japonais (deux tomes). Pika Éditions.

Musée des Abénakis (https://museeabenakis.ca/) est le site Web du musée consacré aux Abénakis, à Odanak (Centre-du-Québec).

Musée Huron-Wendat (https://tourismewendake.ca/activites/activites-culturelles/musee-huron-wendat/) est le site Web du musée consacré aux Huron-Wendat de Wendake (Capitale-Nationale).

Nash, E. P. (2009). Manga kamishibai: Du théâtre de papier à la BD japonaise. Éditions de la Martinière.

Owusu, H. (2008). Les symboles des indiens d’Amérique du Nord. Guy Trédaniel Éditeur.

Perro, B. et Girard, A. S. (2013). Créatures fantastiques du Québec. Perro Éditeur.

Pinon, M. et Lefebvre, L. (2015). Histoire(s) du manga moderne. Ynnis Éditions.

Zimmerman, L. J. et Molyneau, B. L. (2002). Les Indiens d’Amérique du Nord. Evergreen.