Halloween, monstres, fantômes et érotisme

Cette semaine, j’ai terminé une version intégrale de mon troisième roman, une œuvre d’épouvante sulfureuse aux échos d’Halloween. J’y ai été plongé intensément dans les cinq derniers mois, ce qui explique pourquoi mon dernier billet remonte à décembre dernier!

Je le surnomme l’« Opéra de l’Horreur ». Le manuscrit – écrit à la main – comporte 521 feuillets (il en faut de deux à trois pour constituer une page imprimée). C’est un objet étrange : d’une épaisseur de 6,5 cm, il comporte aussi des pages imprimées récupérées d’une version précédente, des pages de « commentaires à chaud » avec des pistes de réécriture, des plans… Et après la réécriture, il sera augmenté de post-it, de schémas et d’illustrations. Un grimoire monstrueux et composite, qui dort en ce moment dans sa sombre tanière, attendant l’heure d’émerger au grand jour…

Le manuscrit dans sa forme actuelle… attendez de voir sa forme finale!

À la fois pour exorci… reposer mon cerveau encore surchauffé et renouer avec mes billets quinzomadaires, petit retour sur la genèse de cet Opéra et ses leçons en matière d’écriture.

Après la science-fiction et la fantasy, l’épouvante!

Les films qu’on classait sous les étiquettes « drame fantastique » ou « drame d’horreur » ont toujours été un péché mignon que je respecte. Au primaire et au secondaire, j’ai parcouru un millier de fois 80 grands succès du cinéma fantastique de Pierre Tchernia en me disant qu’un jour je créerai de semblables histoires…

Autre source d’inspiration : au secondaire j’ai été marqué par Ghost story de Peter Straub, un roman plein de bonnes idées, néanmoins un peu touffu. Et bien sûr, il y a Histoire de fantômes chinois, que j’ai découvert un samedi matin nuageux à Canal D avec mon père, un moment de pur ravissement… Bref, l’idée d’écrire un « drame fantastique » ou un « drame d’horreur » ne date pas d’hier!

À l’automne 2019, en octobre, je me suis dit : « Cette fois-ci, ce sera un roman d’épouvante! »

Quel thème exploiter? L’Halloween!

Pourquoi l’Halloween? À cause d’une VHS de 45 minutes sur l’Halloween que Disney avait produite en 1982, et que mes parents m’ont louée à plusieurs reprises. Lors de mon doctorat en bioéthique, j’avais pu la redécouvrir à la défunte Boîte Noire, sur Mont-Royal. En octobre 2019, le souvenir de cette VHS m’est revenu.

Passé le 31 octobre, j’ai commencé à me documenter sur cette fête, remplissant trois cahiers de notes UdeM. De fil en aiguille, j’ai découvert les mille et une subtilités de cette fête bien plus complexe qu’on le croit. Oui, l’Halloween s’enracine dans la Samhain celtique et ses déclinaisons anglo-saxonnes, mais en Amérique du Nord elle est devenue, si je puis dire, une mutation permanente, engendrant ses propres mythes et se réinventant sans cesse à travers le cinéma, la littérature, la musique, d’autres arts… Ceux et celles qui souhaitent « Bonne Samhain » le 31 octobre (peut-être par esprit de contradiction, sans doute) tombent à côté de la plaque : l’Halloween n’est plus la Samhain d’antan, elle est devenue autre chose de plus contemporain, avec des symboles à des années-lumière de ceux de l’Antiquité, du Moyen Âge ou même du début du XXsiècle!

Surtout, j’ai compris comment l’Halloween, de prime abord axée sur le macabre et l’épouvante, est emplie d’une joie de vivre assumée. Elle est le grand rire devant la mort, la résurgence d’un dionysiaque bon enfant au milieu d’un monde policé et apollinien, pour reprendre les mots de Nietzsche. C’est aussi une fête concrètement inclusive où l’on va littéralement à la rencontre de l’autre (en cognant à la porte des voisins, notamment).

Halloween et LGBTQ+?

À travers mes lectures, j’ai relevé que, pour le milieu LGBTQ+, l’Halloween a eu son importance. Des parades folichonnes aux costumes excentriques, les 31 octobre ont été pour la communauté une occasion d’affirmation, d’être ce que l’on veut être – ou d’être soi-même, en fait. Il y a manifestement dans la fête des déguisements, des bonbons et des jeux coquins une sensualité, un érotisme latent qui ajoute à sa complexité.

Une histoire a commencé à se former. Un drame horrifique et sensuel teinté par Clive Barker et David Cronenberg, avec une dimension lyrique qui le rapproche de l’opéra – d’où le surnom d’« Opéra de l’Horreur ». Je me suis aussi fixé un défi pour me sortir de ma zone de confort : le roman ainsi obtenu devrait être structuré comme une série télévisée, découpée en neuf épisodes. J’avais en tête Paranoia agent de Satoshi Kon, et je voulais faire sur papier quelque chose du genre.

Tu ne m’auras pas, pandémie…

Et puis la pandémie de COVID-19 est arrivée. Arrêté comme bien du monde, je me suis dit que, tant qu’à faire, j’allais employer tout ce temps pour achever de structurer mon histoire. En septembre 2020, peu de temps avant le lancement virtuel du Sculpteur de vœux (encore merci à Billy Robinson et Valérie Harvey pour leur collaboration), j’ai commencé la rédaction. Je brassais ici et là des idées avec mon chum (merci de m’épauler ❤️ ). Les samedis matin, je descendais raconter de petits bouts d’intrigue aux gardiens de mon complexe (je leur apportais du café, comme le dépanneur local n’en faisait plus à cause des mesures sanitaires).

J’ai ainsi rédigé près de 300 pages, puis je me suis rendu compte que quelque chose clochait. J’avais l’impression que le manuscrit se compliquait pour rien. J’ai donc arrêté. Ce n’était pas juste la fatigue causée par les mesures sanitaires : depuis le Démiurge, j’avais appris qu’un sentiment de fatigue et d’indécision face à un manuscrit vient du fait que notre inconscient a repéré un gros problème. Reste à faire passer l’information dans le domaine du conscient…

J’ai laissé reposer le manuscrit, travaillant sur d’autres choses. À l’automne 2021, j’ai compris où se trouvait le problème : ce n’était ni le concept de l’histoire, ni ses thèmes, ni les personnages, mais ce défi « pour sortir de ma zone de confort », cette obligation que je m’étais imposée de structurer le récit comme une série télévisée. Au lieu d’optimiser le roman, elle le dénaturait et l’entravait.

Apprentissage du jour : l’histoire doit ultimement dicter la structure de l’intrigue et celle du roman. Les contraintes fixées d’avance, ça peut être joli pour des exercices d’atelier, des nouvelles ou certains projets, mais il faut ultimement laisser l’histoire décider quelle est la structure optimale pour la communiquer au lectorat.

Je suis donc retourné à la table à dessin, appliquant un principe formulé par Arthur Honegger : le talent, c’est le courage de recommencer.

Quelle nouvelle structure adopter? Si j’applique la grille proposée par Stephen King dans Anatomie de l’horreur, l’Opéra de l’Horreur, même teinté d’Halloween, de monstres et d’érotisme, repose sur la « carte du fantôme ». Et les histoires de revenants obéissent souvent à une structure très codifiée que je ne voulais pas imiter… J’ai choisi de tout faire à l’envers, adoptant une structure atypique observée chez Peter Straub (encore lui!) et Clive Barker.

Je me suis donc remis à l’ouvrage, en écrivant ce « second premier jet » à la main et en récupérant quelques passages de la version précédente (à la main parce que, faute de gym, il m’était pénible de passer toute la journée devant un ordinateur comme je suis à la fois auteur, réviseur et directeur littéraire). J’ai ainsi rédigé en moyenne de trois à quatre feuillets chaque jour. Parfois, ce n’était qu’un paragraphe… mais je n’ai jamais passé un jour sans toucher à mon manuscrit, appliquant ainsi l’excellent conseil de Lionel Davoust dans Comment écrire de la fiction?

Mardi dernier, j’ai enfin écrit la dernière phrase. Quatre mots. « Le compte y sera. » Plutôt anodin, à première vue, mais quand vous saurez ce que ça implique…

Pour les prochaines semaines, mon Opéra de l’horreur se repose. De mon côté, je vais développer un autre projet pour lequel je viens de trouver l’angle d’attaque.

Et je vais voir du monde EN VRAI. Et lire, lire, lire. Un auteur qui ne lit pas et qui rencontre peu de gens ne peut que s’assécher.

On se revoit dans deux semaines pour un autre billet. D’ici là, prenez soin de vous et de vos proches!